Jorge Rodriguez de Rivera

Jorge Rodriguez de Rivera

Collagiste figuratif né aux Canaries. Commence sa carrière artistique en 1998, puis participe à de multiples expositions, collectives ou individuelles. Si une hirondelle n’annonce pas le printemps, la simple photographie d’un cactus n’annonce pas forcément un collage. C’est pourtant avec ce symbole végétal des Canaries que Jorge Rodriguez de Rivera labélise, pour ainsi dire, ses toiles. Ce n’est pas là une signature – un tampon anonyme à l’encre mouillé au banal métaphorique - mais plutôt une appellation contrôlée comme celle que l’on confère à certains précieux territoires, tel un « made in », une ancre à jamais jetée dans le port d’attache de ses souvenirs aux effluves canariens Si un cactus n’annonce pas forcément un collage, disais-je, ce n’est pas non plus cette iconographie des cactées qui pourrait conférer à elle seule la signature d’une oeuvre comme celle de Rodriguez de Rivera. Entre divers artistes clés de cet art, utilisant aux primes abord le même procédé du photocollage (et non du collage à proprement parler, ou du seul photomontage) – tels Prévert ou Monestier, il n’est aucunement difficile de différencier Jorge d’entre ses pairs. Car dans ce domaine particulièrement usité, exploré, voir même parfois exploité à outrance - si ce n’est par d’autres - qu’est celui du photocollage, il a su apporter un style personnel, indélébile, et un souffle nouveau nourri par la métamorphose de l’au- delà inanimé en un présent imagé. Il mixe avec dextérité non seulement les photos contemporaines et les gravures anciennes, mais utilise aussi le procédé méticuleux et oublié du photomontage tel qu’inventé par Hausmann et Heartfield.
En effet, il réalise lui-même ses photographies en fonction de l’angle choisi pour son œuvre en devenir faisant ainsi preuve d’un imaginaire digne des contes féériques de Lewis Carol et de la préciosité des ex-libris qui scelle l’empreinte des purs rêveurs, quand ceux-ci, dépassant l’embrun du songe, réinventent les
nouveaux filaments avec lesquels ils tisseront les visuels poétiques de leur monde intérieur. Il serait possible, par paresse ou oisiveté, de désigner les oeuvres de Rodriguez de Rivera de collages surréalistes, mais ce jugement ne pourrait provenir que d’un spectateur pressé et non d’un observateur contemplatif. Car il s’agit moins de collage que de théâtre dans son oeuvre, et même de théâtre où la mise en scène serait imprégnée d’hispanique littérature. Là où Cervantès imaginait des géants en lieu et place de moulins à vent, lui crée un assemblage de deux mondes où les êtres de jadis vivent dans les décors du présent. Mais dans cette faille née de la fusion de l’espace et du temps, qu’est-ce qui est vraiment réel dans les collages de Rodriguez de Rivera ? Les moulins, ou les géants de Don Quichotte ; les gravures anciennes qui s’animent, ou ce décor contemporain qui se fige ? Il ne s’agit plus là de surréalisme, au sens où l’entendait André Breton, mais d’avant réalisme, comme naît la réalité de l’avant réalité, celle qui est vie d’avant la vie, celle de toute heure prénatale, celle justement où tout devient possible, au singulier comme l’est l’Un possible de nos vies plurielles. Dans les collages de Jorge Rodriguez de Rivera la magie opère non comme une traditionnelle addition d’éléments ou d’images savamment découpées et ajoutées, mais par la soustraction de la réalité à la surréalité. En soustrayant le réel à l’irréel, et inversement, que reste-t-il donc, autre que la poésie pure, celle qui se manifeste par les signes de ce qui précède l’acte poétique, celle qui nous laisse croire le temps d’un regard posé sur un tableau de Jorge : « Nous sommes ici, puisque nous ne sommes plus là ».